Je n'ai pas lutté contre la nature, le jardin est d'abord un état,
une école de l'humilité et surtout de la patience. Ce n'est pas un
devenir à maîtriser mais un minimum de maîtrise sur le
devenir. Se plonger dans la terre, c'est se ressourcer. Errer dans
le jardin, c'est se nourrir. Projeter le jardin, c'est se divertir. Se
reposer au jardin c'est sentir le temps passer.
Je dis à celui qui arriverait avec l'intention de trouver des
massifs bien délimités, parfaitement débarrassés de celles qu'on appelle
les mauvaises herbes qu'il sera probablement déçu. Le
jardin vit aussi en dehors de mes interventions. Certains diront
qu'il manque d'entretien. Alors qu'il est urgent de faire les semis, la
tonte attend et le gazon fleuri. Mais il viendra le
temps propice à la tonte, la taille, le désherbage, le binage ou le
paillage.
Je rêve d'un jardin que l'on pourrait contempler exactement comme on
le fait ici … Je voudrais le jardin comme un roman, où les espaces
seraient liés entre eux par une même histoire ,
une évolution linéaire. Mais c'est oublier que cultiver cette
histoire est un dur labeur qui doit être accompli avec assiduité ....
L'oublier, c'est donner l'occasion à la nature de s'exprimer au
jardin … Et ça se voit quand elles sont en révolution !
Malgré sa taille, ce n'est pas un jardin qui nécessite une grande
assiduité. Laissé libre, il vit autrement, différemment et si je
l'abandonnais plusieurs années durant, il aurait sans doute
quelque chose de merveilleux pour celui qui le découvrirait … les
rosiers au milieu des ronces, mais le tunnel des reinettes comme un
boyau pour aller d'un espace à l'autre, les carrés disparus
mais pérennisés par la biodiversité qui s'y est propagée et se
serait envolée de ci de là, la pergola des oiseaux écroulée sous le
poids des grimpantes, le grand tilleul déjà là et encore là et
les structures du jardin blanc émergeant un peu au milieu des
graminées devenues reines, le buis en nuage redevenu une grosse boule et
le gingko devenu grand au dessus de tout cela, moi aussi !